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La Ligue de l’enseignement : une identité

Par Jean-Michel DUCOMTE, président de la Ligue de l’enseignement

(préambule de l’ouvrage « Qu’est-ce que la Ligue de l’enseignement ? » aux éditions L’Archipel dans la collection « L’information citoyenne »).

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« Revendiquer près d’un siècle et demi d’histoire crée des responsabilités, tout en imposant lucidité et modestie. D’où vient qu’une institution parvienne à s’inscrire dans la durée de telle façon que, par-delà les vicissitudes de l’histoire, elle en arrive à incarner une permanence qui, en dépit des adaptations nécessaires aux évolutions du temps, qui furent à la fois nombreuses et volontaires, sauvegarde l’essentiel du projet des fondateurs ?

Outre un regard sur l’histoire, qui semble s’imposer pour tenter de comprendre sans nostalgie les raisons de cette permanence, il importe de rechercher ce qui fait, au plus profond, l’identité de la Ligue de l’enseignement. La démarche n’est pas sans danger, elle est cependant indispensable.

Cette identité est d’abord le produit d’une construction, dans une proximité assumée avec la tradition républicaine, constituée d’héritages, de combats revendiqués comme autant d’étapes dans la réalisation d’un projet d’éducation populaire qui a justifié sa fondation et éclairé son développement.

C’est une identité en actes, relayée par une capacité militante.

Il s’agit aussi d’une identité en débat, constamment réinterrogée sous l’éclairage des nécessités du moment.

 

Une identité construite

La Ligue de l’enseignement est née en 1866 d’un constat lucide et un peu amer ? Il ne suffisait pas d’instaurer le suffrage universel pour que s’impose la démocratie. Les résultats des premières élections présidentielles et législatives organisées sous la IIe République en offraient la douloureuse démonstration. Que restait-il des conquêtes de la révolution qui, dans l’enthousiasme des journées de février 1848, avaient balayé la monarchie ? Un président de la République qui rêvait de restauration impériale, et une Assemblée qui complotait pour rétablir la monarchie. L’appel de Jean Macé voulait créer les conditions d’émergence d’une conscience civique à visée démocratique.

Ce combat de la Ligue de l’enseignement s’inscrit dès l’origine, dans une perspective clairement positiviste. C’est par une éducation affranchie de toute référence religieuse que le peuple pourra s’ouvrir à l’univers de la connaissance et construire ainsi qu’en conscience civique en actes. Par sa composition et son action, la Ligue de l’enseignement acquiert rapidement une place centrale dans l’organisation d’une société civile en construction ? Elle constitue souvent le point de convergence d’autres appartenances. En effet, il n’est pas rare que ses responsables ou ses militants cumulent un engagement politique dans la mouvance républicaine, la qualité de francs-maçons ou celle de membres de sociétés de la libre-pensée. Dès les débuts de la IIIe République, au-delà des questions relatives à la laïcité de l’école ou à l’organisation des relations entre les Eglises et l’Etat, d’autres occurrences ont mobilisé la Ligue. Les questions relatives au contenu d’une morale laïque, la science et la place qu’il convient de lui reconnaître, la République comme forme de gouvernement, le suffrage universel, l’association et son rapport au «  gouvernement », la nation, l’armée, mais aussi les cantines scolaires, l’enseignement gymnique ou les colonies de vacances ! tout cela a fait l’objet de réflexions et d’actions.

La mise en perspective de ce parcours historique permet de prendre la mesure de ce véritable foisonnement associatif au sein d’une organisation qui se veut Ligue des citoyens plus que Ligue des enseignants.

 

Une identité débattue

Cette identité construite a naturellement, en permanence, été débattue. Ce qui marque le plus la période récente est la décision, au milieu des années 1980 de reprendre le débat laïque afin d’en confronter les enseignements au défi d’une société devenue multiculturelle. La question était difficile et le terrain miné. Si l’anticléricalisme avait pu apparaître comme une nécessité dans le combat conduit au XIXe siècle autour de l’école pour se conclure, en 1905, par le vote de la loi de séparation des Eglises et de l’Etat, le temps était venu, non d’abandon de la vigilance, toujours nécessaire, mais d’ouverture sur la dénonciation de nouveaux cléricalismes. Ces derniers se révélaient constructeurs d’inégalités et porteurs de désenchantement démocratique, avec des nouveaux clercs, experts du monde économique ou des médias, s’appuyant sur la religion du libéralisme. La confrontation historique avec une Eglise catholique dominante et socialement réactionnaire sur le terrain idéologique avait laissé la place à un pluralisme religieux. Une religion en plein développement, l’islam, demandait à être considérée, dans la pratique de son culte, à égalité de dignité et de considération avec les autres cultes. Les débats ouverts ont parfois été vifs, mais, au terme de vingt ans de travaux, il apparaît qu’aujourd’hui évident, pour peu que l’on accepte de sortir du ciel confortable des idées et des incantations et que l’on fasse effort de l’inscrire dans un combat plus large de lutte contre les inégalités et les exclusions, que la laïcité a retrouvé une opérativité réelle et largement reconnue, tout en se dépouillant des archaïsmes dont avaient souhaité la revêtir ses adversaires.

Toutefois, la satisfaction du devoir accompli n’est jamais suffisante. D’autres enjeux se profilent. Il est urgent que nous réapprenions à regarder ce qui nous arrive afin de nous donner les moyens de le penser ? Il importe que nous prenions conscience des dangers de l’impérialisme du présent. Outre qu’il nous interdit le plus souvent de concevoir l’avenir, il n’a de sens que si chacun prend conscience qu’il peut se muer en fatalité si l’on ne se donne pas les moyens de le maitriser. Il faut que nous retrouvions une mémoire active qui nous rende aptes à juger le passé, à le rendre porteur de leçons, sans injonctions imbéciles. Il convient que nous nous donnions les moyens d’affirmer qu’il n’y a pas de démocratie vivante sans débats ouverts, courageux, transparents, qu’il n’y a pas d’expression de la volonté générale susceptible d’être acceptée hors d’un assentiment librement débattu d’une majorité de citoyens lucides et informés. […]

Prolongeant le débat autour de la laïcité, la Ligue de l’enseignement s’est engagée, […] dans une réflexion sur le thème « Faire société ». C’est-à-dire tout à la fois créer les conditions d’une pacification de la pluralité humaine, qui constitue le terreau premier de l’action politique, et retrouver une capacité d’inscrire son destin dans une maîtrise courageuse des défis d’un monde devenu redoutablement complexe, au point de faire se fissurer les vieux cadres institutionnels de la démocratie inventés par la modernité. Cette ambition nouvelle exigeait l’invention de nouveaux outils qui, sans abandonner notre ancrage dans l’univers de l’éducation populaire et sans vouloir prendre la place des syndicats et des partis politiques, donne une dimension renouvelée à l’engagement de nos militants ? Etre membre de la Ligue de l’enseignement ne peut se concevoir seulement au travers de la conduite d’une activité. Partager les valeurs et les combats qui ont modelé notre histoire et occupent notre présent doit pouvoir se décliner sans aucun renoncement à la diversité de nos champs d’intervention, comme un acte d’adhésion à un projet conçu en commun et d’acceptation de le soumettre à débat. Tel est le choix que nous avons fait en permettant, à côté de l’affiliation d’associations, l’adhésion individuelle à la Ligue. Agissant de la sorte, la Ligue de l’enseignement renoue avec la chaîne des temps et avec l’ambition de ses fondateurs.

« Faire des citoyens », encore et toujours, en sachant que ce sont d’abord des hommes et des femmes qui s’engagent. »

 

Retrouvez le site du réseau de la Ligue de l'Enseignement

https://laligue.org/